Auteur: Michel BERLIN
Date: 21-12-2004
Un panier de crabes ?
Se soutenir de Freud et de Lacan c’est en effet défendre l’indépendance de la psychanalyse et sa laïcité (pour Freud au regard de la médecine et de la religion)
contre ceux qui, corporations ou État, voudraient la dénaturer en la mettant à leur pas sous leur tutelle et se la réserver d’une position logique où ce serait non
pas la vérité d’une blessure originelle qui serait aux commandes mais le bouchon d’un savoir Maître.
L’air du temps vers l’encadrement juridique des psychothérapies en était venu dans le contexte qu’indiquait clairement le rapport Cléry-Melin à risquer de conduire
à la mort du tranchant original de la psychanalyse par sa réduction paramédicalisée à une des multiples psychothérapies dès lors ainsi placées abusivement sur
ordonnance, logique et contrôle médical et vouées à la dictature de l’évaluation et des bonnes pratiques de soin définies « étatiquement » par l’ANAES. La boucle
était bouclée et le système clos sur une sorte de totalité médicale techno-scientiste et hygiéniste.
C’est pourquoi j’ai été amené à écrire, au départ pour
une rencontre avec les seuls collègues analystes de mon école dans ma région, puis pour le site Œdipe un article intitulé « Main-basse techno-psychiatrique sur la
parole du sujet ».
Que voilà en effet dans ce rapport un risque inacceptable de technocratisation « totalitaire » forcée.
Mais ce danger viendrait-il aussi, comme l’affirme notre collègue H. Cxxxx d’une psychologie clinique supposée technicienne et sans objet propre (comme si la
théorie psychanalytique et la clinique psychanalytique du sujet étaient réservées aux associations psychanalytiques privées). Une psychologie clinique qui serait
perçue et rangée comme non-laïque par certains, s’auto-positionnant ainsi comme plus blancs que blancs, c'est-à-dire encore plus laïques que les laïques. Cette
psychologie clinique serait-elle alors mise en position de rivalité pour rafler toute la mise dans le champ de la psychanalyse et dans le camp de ses praticiens
non-médecins? Or, les processus de subjectivation à quoi s’intéresse, en se démarquant ainsi des autres psychologies, la psychologie clinique - qui de plus n’est
pas Une en son sein et à fortiori c’est une évidence dans les différents courants de la psychologie universitaire- seraient-ils là aussi de façon totalitaire à la
fois champ et pratiques réservés d’une psychanalyse qui serait, elle, propriété déposée, exclusive et privée de ses écoles « annuarisées » selon une logique rivale
d’exclusion de l’un ou de l’autre ?
Que se serait-il passé qui puisse faire amalgamer médecine et psychologie clinique au regard d’une tentative de mainmise sur la psychanalyse par le biais des
psychothérapies ? Serait-ce cette première mouture de l’amendement Accoyer qui, avec la complicité intéressée et bien placée dans les rouages du pouvoir de certain
membre à la fois d’une société de psychanalyse et d’un syndicat de psychiatres d’établissements de soin tendait en effet à réserver quasi strictement la
psychothérapie (mais non pas explicitement et directement la psychanalyse) aux psychiatres en tant que psychothérapie médicale et aux psychologues cliniciens en
tant que psychothérapie paramédicale puisque placée sous prescription et contrôle psychiatrique, comme c’est d’ailleurs le cas actuellement en établissement de
soin. (J’en sais quelque chose puisque j’ai été jadis psychologue en CMPP pratiquant des psychothérapies considérées comme « rééducations médico-psychologiques »).
IL y aurait ainsi des psychothérapies et des sous psychothérapies.
Certes il est vrai cette première rédaction de l’amendement, contre-pied d’une précédente tentative de créer une profession réservée de psychothérapeutes excluant
les autres, comportait alors le risque potentiel d’extension à la psychanalyse et d’écartement de nos collègues analystes non-médecins-non-psychologues . D’où la
nécessité de sortir clairement la psychanalyse du champ des psychothérapies médicales ou sous contrôle médical, en faisant en sorte que le non-dit de la loi à son
égard ne puisse permettre par ce silence une dérive réglementaire qui la mettrait et NOUS mettrait sous tutelle. Désormais psychanalyse et psychanalystes sont
cités mais est-ce que ce sera suffisant pour éviter la paramédicalisation des laïques, psychologues cliniciens compris bien entendu ?
Pour ma part en tant que psychanalyste et psychologue clinicien venu à partir de la psychologie scolaire qui elle, tend à être dénaturée et instrumentalisée comme
« flicologie scolaire » par le détournement de sa mise en une tutelle pédagogique qui la domestique sous statut inadéquat d’une fonction enseignante, il me
semblait que tous les analystes non-médecins ayant à maintenir une pratique analytique hors du champ de la médecine et de la paramédicalisation se comptaient et
étaient comptés parmi les laïques. Je pensais que le maintien de la présence indispensable de laïques dans la psychanalyse était bien évidemment une source
d’enrichissement à préserver et d’évitement de la pensée unique en ce domaine, mais aussi la marque symbolique nécessaire que la pratique de l’analyse se situait
hors champ de la médecine et de son penchant à tout contrôler et donc hors rapport médecin-malade-assurance maladie.
Car, convenons que ce n’est que par des dérives et des
contorsions symboliques sur lesquelles les pouvoirs publics complices ferment les yeux que l’on arrive à tolérer l’existence, ni analytiquement ni juridiquement
fondée, de remboursements totaux ou partiels de l’analyse par l’assurance maladie. Par ailleurs malade ou pas, ce n’est ni en tant que malade, ni en tant que
bénéficiaire d’une quelconque prescription que l’analysant fait son analyse. De ce point de vue, qu’ils soient par ailleurs médecins, psychologues ou autres tous
les analystes sont, me semble-t-il, sur le même plan et dans cette même logique non médicale ni même directement soignante.
Ce que je suis en tant qu’homme et sujet s’est croisé tout autant avec ma formation en psychologie clinique psychanalytique que parallèlement et par la suite avec
ma formation analytique. Si bien que quand des analystes dénigrent, non sans quelque suffisance, les psychologues cliniciens en lutte historique toujours actuelle
contre leur réelle et systématique déqualification institutionnelle par tentative constante de paramédicalisation ou de psychopédagogisation subordonnantes et
contre l’instrumentalisation technicienne dommageable consécutive dont ils ont quotidiennement à se défaire pour se soutenir de leur place et de leur rôle, c’est
l’acteur social psychologue en moi qui se sent injustement blessé. Mais, inversement, quand des psychologues imitant ceux dont ils dénoncent l’impérialisme se
rempardent de leur titre (la terminologie «formation de haut niveau » n’est qu’une citation de la loi qui les identifie par leur titre professionnel) pour écarter
des analystes qu’ils traitent en charlatans comme s’ils voulaient se réserver la pratique analytique, c’est l’analyste en moi qui est blessé par l’injustice de
cette méconnaissance et de cet a-priori maladroit.
Rester dans une logique duelle mortifère de nécessaire élimination des uns par les autres ne me semble pas déboucher vers la pacification de ces jouissances ni
vers la réciprocité du respect et de la reconnaissance des diverses catégories de psy. C’est pourquoi j’ai signé la pétition « Laissez-nous nos charlatans ».
Autant, comme je l’ai noté dans mon article précité était-il maladroit de vouloir constituer une profession réservée de psychothérapeutes qui écarteraient les
psychologues cliniciens et les psychiatres pour qui la psychothérapie reste évidemment une de leurs fonctions. Certes, ces fonctions nécessitent bien sur une
formation supplémentaire particulière qui ne se trouve pas TOUTE à l’université puisqu’elles proviennent pour tout ou partie d’un travail psychothérapique ou
psychanalytique privé. Autant, en contre-pied symétrique, était-il maladroit d’éliminer les « ni médecins, ni psychologues », sorte non pas de laïques mais de
sous-laïques, pour réserver la psychothérapie aux seuls médecins et psychologues cliniciens (avec le risque d’y voir inclure la psychanalyse par le biais des
soi-disant psychothérapies analytiques). Cette logique ouvrait dès lors à des rivalités et des amertumes sans fin. Et on sait bien que dans ce domaine quand on
veut se débarrasser sans culpabilité de son chien on l’accuse de la rage c'est-à-dire par exemple de manquer de diplômes en psychopathologie pour les uns et de
culture philosophique ou autre pour les autres. Et le tour est joué. Batailles de tartes à la crème ? Entartrages réciproques ? Bien, ça soulage peut-être, mais
après ?
Le livre d’Elisabeth Roudinesco sur « Le patient, le thérapeute et l’État » cité par notre collègue H. Cxxxx en appui de l’accusation amère de technocratisation
psycho-clinicienne de la psychanalyse commence pourtant lui-même par une citation que je vais vous rappeler avec laquelle nous pourrions me semble-t-il sortir les
uns ET les autres de ce panier de crabes dans lequel nous sommes parfois tentés de tomber, nous qui sommes tous psy quelque chose et qui savons que dans le retrait
de nos bureaux d’établissements ou de nos cabinets privés, il nous échoit de nous coltiner humblement les mystères et les difficultés de la subjectivité à travers
les mots pour se mi-dire. Et que face à l’écoute démunie de ce qui au mieux ne peut structurellement que se mi-dire, diplômes et « culture », diplômes avec ou
contre « culture », fût-elle philosophique ou psychanalytique, n’illusionnent pas car, sans être inutiles, ils ne sauraient … suffire.
Le prétexte de la soi-disant suffisance des uns comme bouclier ou arme jetée à la face d’une prétendue insuffisance des autres ne fera pas issue à cette impasse de
structure. Il ne règlera pas le réel problème du risque toujours pressant qui nous pend au nez si nous restons dans notre panier de crabes de mise de la
psychiatrie dynamique, de la psychologie clinique, de la psychanalyse et des psychothérapies intersubjectives à un pas néolibéral techno-scientiste,
dictatorialement étatique et administratif ou mondialement capitaliste qui ne viserait jouissivement en fin de compte qu’à aller dans le sens de la forclusion du
sujet et qu’à mieux instrumentaliser l’humain à travers l’instrumentalisation technicienne des traitements par la parole et de leurs casse-choses de
praticiens.
Voici donc gardée pour la fin le rappel de la citation annoncée … Puisse-t-elle donner à réfléchir pour agir en conséquence à l’heure où les décrets d’application
de la réglementation des psychothérapies sont à l’étude.
« Lorsqu’ils ont arrêté les communistes, je n’ai rien dit, car je n’étais pas communiste. Ils sont venus pour les socialistes, et je n’ai rien dit car je n’étais
pas socialiste. Ils sont venus pour les dirigeants syndicaux, et je n’ai rien dit, car je n’étais pas dirigeant syndical. Ils sont venus pour les juifs et je n’ai
rien dit, car je n’étais pas juif. Puis ils sont venus pour moi et il ne restait plus personne pour dire quelque chose. »
Michel Berlin
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